Marine Le Pen ou les 120 façons d’épargner l’État et la société de classes



« Le spectacle, comme la société moderne, est à la fois uni et divisé. Comme elle, il édifie son unité sur le déchirement. Mais la contradiction, quand elle émerge dans le spectacle, est à son tour contredite par un renversement de son sens ; de sorte que la division montrée est unitaire, alors que l’unité montrée est divisée […]

C’est la lutte de pouvoirs qui se sont constitués pour la gestion du même système socio-économique, qui se déploie comme la contradiction officielle appartenant en fait à l’unité réelle ; ceci à l’échelle mondiale aussi bien qu’à l’intérieur de chaque nation. »


Guy Debord, La Société du Spectacle




Dans son ouvrage programmatique intitulé Pour que vive la France et paru en 2012 [1], Marine Le Pen tient un discours qui pourrait paraître subversif à des lecteurs un peu pressés ou en manque de repères politiques. À y regarder de plus près cependant, les ficelles employées par la présidente du Front National sont énormes.


En effet, les nombreuses cibles de Marine Le Pen sont attaquées avec d’autant plus de verve qu’il s’agit pour la fille du borgne de faire oublier que l’essentiel est sciemment épargné : l’existence de l’État et la division de la société en bourgeois et prolétaires.

Conséquemment, le programme de la dirigeante du FN doit être lu « en creux » :


Afin de rappeler de quel côté de la barrière de classe se place le FN, nous listons donc, ci-dessous, cent-vingt mots ou expressions qu’emploie Marine Le Pen afin de donner fallacieusement une apparence anti-Système et moderne à la vieille formation d’extrême droite dont elle a hérité :


1°) « Secteur financier » (page 34 de l’ouvrage précité) ;

2°) « Projet mondialiste » (pages 12, 15, 35, 57, 82, 119, 125, 151 et 174) ;

3°) « Milieux financiers » (page 37) ;

4°) « Ploutocratie » (page 37) ;

5°) « Mondialisme » (pages 26 (trois fois), 29, 32 (trois fois), 33, 38, 76, 86, 90 (deux fois), 91, 92, 115, 116, 120, 123, 136, 146, 187 et 203) ;

6°) « Politiques ultralibérales » (page 73) ;

7°) « Doctrine mondialiste » (pages 42 et 151) ;

8°) « Libéralisme financier le plus extrême » (page 42) ;

9°) « Libéralisme total » (page 42) ;

10°) « Ultralibéralisme mondialisé » (page 42) ;

11°) « Mondialisation incontrôlée » (page 43) ;

12°) « Mondialisation effrénée » (page 43) ;

13°) « Néolibéraux » (page 44) ;

14°) « Catéchisme ultralibéral » (page 45) ;

15°) « Grandes sociétés multinationales et en particulier celle (sic) du CAC40 » (page 47) ;

16°) « Dérégulation financière » (page 48) ;

17°) « Caste de spécialistes de la finance » (page 48) ;

18°) « Économie du Diable » (page 48) ;

19°) « Nouvelle religion du capitalisme libéral mondialisé » (page 50) ;

20°) « Concurrence sauvage » (page 53) ;

21°) « Élites anglaises » (page 54) ;

22°) « Élites technocratiques » (page 56) ;

23°) « Tenants du libéralisme mondialisé » (page 56) ;

24°) « Ultralibéraux » (page 57) ;

25°) « Tenants du projet mondialiste » (page 58) ;

26°) « Capitalisme mondialisé » (page 58) ;

27°) « Mercantilistes » (page 60) ;

28°) « Révolution mondialiste » (page 61) ;

29°) « Monde de la finance » (page 63) ;

30°) « Communauté financière » (page 64) ;

31°) « Lobby bancaire » (page 66) ;

32°) « Classe de profiteurs du système, composée de spéculateurs de tous ordres » (page 68) ;

33°) « Finance spéculative » (page 68) ;

34°) « Dérégulation libérale » (page 68) ;

35°) « Capitalisme financier mondialisé » (page 70) ;

36°) « Hyper-classe » (pages 70 et 121) ;

37°)  « Pouvoir financier » (page 75) ;

38°) « Lobbies » (pages 75 et 79) ;

39°) « Ultralibéralisme » (pages 77, 91, 151 et 188) ;

40°) « Idéologie mondialiste » (pages 16, 77 et 78) ;

41°) « Offensive mondialiste » (page 78) ;

42°) « Hypercapitalisme mondialisé » (page 79) ;

43°) « Financiers » (pages 84, 123 et 163) ;

44°) « Actionnaires » (page 84) ;

45°) « Banquiers » (page 84) ;

46°) « Hypercapitalisme transnational » (page 86) ;

47°) « Grandes entreprises multinationales » (page 87) ;

48°) « Métaphysique ultralibérale » (pages 89 et 99) ;

49°) « Tyrannie de la cupidité sans limites » (page 90) ;

50°) « Pouvoir absolu des financiers et des banquiers qui dirigent le monde »(page 90) ;

51°) « Chantres du libéralisme débarrassé de toute contrainte régalienne »(page 90) ;

52°) « Prélat du libéralisme mondialisé » (page 90) ;

53°) « Nouvelle aristocratie mondiale » (page 92) ;

54°) « Hyperclasse mondialisée » (pages 92 ,122, 125, 127 et 160) ;

55°) « Tenants de l’ultralibéralisme mondialisée » (page 92) ;

56°) « Théologie libérale » (page 94) ;

57°) « Paradigme ultralibéral » (page 95) ;

58°) « Religion libérale » (page 95) ;

59°) « Technocratie européenne » (page 96) ;

60°) « Capitalisme financier ultralibéral » (pages 96 et 123) ;

61°) « Médias contrôlés par le grand capital » (page 96) ;

62°) « Idéologie libérale » (pages 96 et 151) ;

63°) « Religion du marché » (page 96) ;

64°) « Idéologie du marché » (page 97) ;

65°) « Classe dominante internationale mondialisée » (page 99) ;

66°) « Organisation hyperlibérale » (page 100) ;

67°) « Idéologues du libéralisme » (page 100) ;

68°) « Mondialisation ultralibérale » (pages 104 et 223) ;

69°) « Libre-échange généralisé » (page 105) ;

70°) « Métaphysique néolibérale » (page 106) ;

71°) « Néolibéralisme » (page 106) ;

72°) « Politique néolibérale mondialiste » (page 106) ;

73°) « Agents du mondialisme » (page 107) ;

74°) « Libéralisme dévoyé où tout s’achète et tout se vend » (page 107) ;

75°) « Mondialisation sauvage » (page 107) ;

76°) « Capitalisme ultralibéral mondialisé » (page 108) ;

77°) « Nouvel ordre mondialiste » (page 108) ;

78°) « Nouvelle tyrannie mercantile » (page 108) ;

79°) « Société ultralibérale » (page 112) ;

80°) « Système ultralibéral » (page 113) ;

81°) « Enfer ultralibéral » (page 114) ;

82°) « Règne de la marchandisation de tout et de tous » (page 114) ;

83°) « Caste au pouvoir » (pages 117 et 119);

84°) « Corporation des élites » (page 117) ;

85°) « Grands patrons » (page 118) ;

86°) « Grands patrons mondialisés » (page 120) ;

87°) « Élite financière » (page 120) ;

88°) « Capitalisme financier transnational » (page 122) ;

89°) « Grands patrons du CAC 40 » (page 122) ;

90°) « Spéculateurs » (pages 123 et 163) ;

91°) « Grand patronat transnational » (page 128) ;

92°) « Élites politiques, médiatiques et financières » (page 129) ;

93°) « Pensée euro-mondialiste » (page 133) ;

94°) « Religion mondialiste » (page 135) ;

95°) « Doctrine ultralibérale mondialiste » (page 145) ;

96°) « Capitalisme libéral mondialisé » (page 149) ;

97°) « Capitalisme libéral » (page 149) ;

98°) « Société ultralibérale et mondialisée » (page 159) ;

99°) « Classe mondialisée de riches oisifs accaparant toujours plus de biens »(page 163) ;

100°) « Banques » (page 163) ;

101°) « Les puissances de l’argent, des médias, de la banque » (page 168) ;

102°) « Modèle mondialiste » (page 172) ;

103°) « Magma mondialiste » (page 174) ;

104°) « Mondialistes de gauche comme de droite » (page 175) ;

105°) « Caste » (pages 17, 179, 181 et 212) ;

106°) « Mondialisation débridée » (page 204) ;

107°) « Système mondialiste » (page 212) ;

108°) « Supertechnocratie européenne » (page 220)

109°) « Modèle communautariste ultralibéral américain » (page 225) ;

110°) « Lobby des banques et de la finance internationale » (page 230) ;

111°) « Capitalisme ultralibéral » (page 12) ;

112°) « Libéralisme économique extrême » (page 16) ;

113°) « Financiarisation » (page 16) ;

114°) « Libre-échange » (page 16) ;

115°) « Oligarchie mondialisée » (page 25) ;

116°) « Doctrine économique ultralibérale » (page 27) ;

117°) « Hypercapitalisme à dominante financière » (page 28) ;

118°) « Système mondialiste ultralibéral » (page 30) ;

119°) « Idéologie du mondialisme » (page 33) ;

120°) « Puissances d’argent » (page 33).


La plupart des mots listés ci-dessus sont utilisés sans jamais être définis. C’est une des raisons pour lesquelles ils sont interchangeables ou / et combinables entre eux à l’infini… pour le plus grand bonheur des politiciens de toutes obédiences à qui cela évite de pénibles répétitions, et qui peuvent même donner l’impression d’innover moyennant de menus bricolages sémantiques !


Dans l’ouvrage de Marine Le Pen, il est tantôt question de« capitalisme libéral » (p. 149), tantôt question de « capitalisme mondialisé » (p. 58)… mais, si l’on fait un « mix » des deux, on obtient « capitalisme libéral mondialisé » (p. 149), et – surprise ! – ça marche aussi !


Autre exemple, la fille Le Pen attaque successivement l’« idéologie mondialiste » (p. 16), la « religion libérale » (p. 95), l’« idéologie libérale » (p. 96), la « religion du marché » (p. 96), l’« idéologie du marché » (p. 97) et la « religion mondialiste » (p. 135). Or ces expressions recoupent des réalités (?) suffisamment vagues pour être toutes interchangeables entre elles (ainsi qu’avec bon nombre des autres expressions listées ci-dessus).En matière de langue de bois, le parti de Marine Le Pen – qui se veut pourtant le chantre du politiquement incorrect – soutient donc tout à fait la comparaison avec les UMP, P « S », P « C » F et autres partis avariés [4]… une preuve parmi tant d’autres de l’adhésion sans équivoque du FN au monde bourgeois, à son idéologie et à son langage.











[1] LE PEN Marine, Pour que vive la France, Éditions Grancher, 2012

[2] Russie avec laquelle Marine Le Pen souhaite que la France opère un rapprochement, afin de créer une « Europe des patries poursuivant leurs intérêts nationaux et associées dans une communauté de civilisation » (Ibid., p. 225-226)

[3] Sur ce point, les positions défendues par Marine Le Pen sont évidemment tout sauf minoritaires au sein du FN. À titre d’exemple, on rappellera que, lors d’une réunion devant un parterre de patrons, commerçants, artisans et professions libérales, Marion Maréchal-Le Pen a prôné, outre des simplifications administratives pour les entreprises, un allègement des cotisations patronales et salariales ainsi que la mise en place d’un système de sanctions visant… les inspecteurs du travail (cf. notamment le Dauphiné Libéré en date du 17 juin 2013)

[4] Concernant la langue de bois, on visionnera avec profit cette vidéo de Franck Lepage : http://www.youtube.com/watch?v=uhm5W48t3q4

















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