chaos en Irak : USA , URSS , France , Israël… tous coupables !

 

 

« On avait fait Saddam Hussein comme l’Amérique avait fait Ben Laden , exactement pour les mêmes raisons : le baasisme saddamesque fut d’abord considéré comme un utile barrage aux ‘progressismes’ arabes au même titre que l’islamisme radical . Puis contre un tout aussi utile rempart face à l’islamisme radical . Dans les deux cas, son caractère tyrannique et sadiquement répressif pesa de très peu de poids […] »

                             Jean-François Kahn , Le camp de la guerre , Critique de la déraison impure

 

 

 

En guerre depuis 25 ans , l’Irak est un pays ruiné , dévasté , exsangue . Un bref aperçu de l’histoire récente de ce pays , et immédiatement (et évidemment, serait-on tenté de dire) apparaît la responsabilité de cet éternel fléau qu’est l’impérialisme, fléau communément justifié par les nécessités de la lutte « contre le terrorisme »  , « contre la tyrannie », « contre la prolifération des armes de destruction massives » et autres prétextes tout aussi exotiques…            

 

Mais commençons par le début , c’est-à-dire par la prise de pouvoir du parti baasiste en juillet 1968 , suite à un putsch . A cette époque , Saddam Hussein n’était « que » le bras droit d’un autre dirigeant baasiste (Ahmed Hassan al-Bakr) … cela faisait en revanche déjà près d’une décennie qu’il collaborait avec la CIA (depuis 1959) .  Le soutien qu’a apporté la CIA au parti baasiste s’explique principalement par l’anticommunisme viscéral de ce parti . De fait , en 1963 , une première et éphémère prise de pouvoir par le parti Baas avait eu lieu : Saddam Hussein s’était alors distingué en participant au massacre de milliers de communistes irakiens . Il est à noter que le parti Baas a alors également pu compter sur le soutien d’une autre puissance contre-révolutionnaire : l’Union Soviétique ( qui était coutumière du fait : les communistes égyptiens massacrés par Nasser , l’allié de Moscou , en savent quelque chose) . Rapidement , Saddam Hussein devint le véritable homme fort du régime irakien et suscita un enthousiasme quasi-unanime parmi les grands de ce monde . Ces derniers n’hésitèrent absolument pas à faire des affaires avec un régime tyrannique qui avait déjà des milliers de victimes à son actif , sans doute étaient-ils obnubilés par les ressources du sous-sol irakien … C’est en 1979 que Saddam Hussein prit officiellement le pouvoir , suite à la démission d’Hassan al-Bakr . Après s’être assuré que les puissances impérialistes le soutiendraient en cas de guerre contre la République islamique d’Iran , Saddam Hussein déclenche les hostilités en septembre 1980 . En réalité , en affirmant qu’ils allaient soutenir l’Irak en cas de guerre , les dirigeants - français , russe , américain et autres - n’ont dit qu’une partie de la vérité : ils allaient simultanément soutenir l’Iran (de manière généralement plus discrète) .

Arrêtons nous un instant sur la version officielle , telle que nous l’énoncèrent les grands de ce monde dans les années 80 . A l’époque , le soutien à l’Irak – car celui à l’Iran n’avait pas d’existence officielle- était justifié par la nécessité d’endiguer le fléau islamiste . On peut douter de l’efficacité de la méthode tant l’agression irakienne contre la République islamique voisine a contribué à populariser le régime auprès des Iraniens . Rappelons également les déclarations de soutien à Saddam Hussein, débordantes d’enthousiasmes , en provenance d’hommes politiques français ou américains . N’oublions pas non plus que les USA refusaient de considérer l’Irak comme l’agresseur , que des officiels américains justifiaient sans rougir l’utilisation d’armes chimiques contre les Iraniens par Saddam Hussein  , que d’autres rejetèrent toute responsabilité de l’Irak dans le massacre de 7000 Kurdes à Halabja . On eut même droit aux déclarations indignées sur ces monstres d’Iraniens qui envoyaient leurs gamins mourir au combat… comme si les premiers à blâmer n’étaient pas ceux qui acceptaient de tuer ces enfants (idem en Palestine occupée) . Israël mérite une mention spéciale : ce pays présentait la particularité de soutenir officiellement la République islamique d’Iran en arguant qu’il fallait garder des contacts avec les militaire iraniens pour espérer fomenter un coup d’Etat mais  dans le même temps , prétendait lutter au Liban - qu’il avait envahi - contre des groupes terroristes soutenus par cette même République islamique d’Iran . Quant aux justifications avancées par Israël pour le bombardement de Tammouz et la destruction du réacteur Osirak (généreusement fourni par la France des VGE et des Chirac ! no comment) en 1981 , elles ne font plus figure que de prétexte si l’on tient compte des ventes d’armes israéliennes à l’Irak. Finalement , grâce aux importantes quantités d’armes (chimiques et bactériologiques notamment) offertes , l’Iran et l’Irak allaient se détruire mutuellement jusqu’en 1988 . Il va de soi que ne soutenir ni l’Iran , ni l’Irak aurait été moins meurtrier , mais les nécessités du Spectacle ont prévalu sur les considérations humanitaires…

 

 

 

« Au début de 1990 , quelques mois avant l’invasion du Koweït , George Bush Senior a envoyé une délégation de haut niveau dirigée par Bob Dole (plus tard candidat républicain à la présidence) pour transmettre à son ami Saddam Hussein les compliments et les remerciements du Président , en lui suggérant de ne pas trop s’inquiéter des critiques occasionnelles de la presse américaine . […] On a même promis [à Saddam Hussein] qu’un commentateur trop critique de la Voix de l’Amérique serait remplacé pour lui éviter le désagrément d’entendre dénoncer tous les crimes qu’il commet . Tout ceci se passait deux ou trois mois avant la métamorphose de Saddam en ‘monstre de Bagdad’ prêt à conquérir le monde . »

                                     Noam Chomsky , Pouvoir et terreur , entretiens après le 11 septembre

 

           

 

 

            C’est de 1988 à 1990 , c’est-à-dire  à une époque où le régime baasiste avait déjà commis ses pires forfaits , que le soutien occidental a été le plus important et que les laudateurs de Saddam Hussein se sont fait le plus entendre . On a ainsi pu entendre , en 1990 , l’ambassadrice américaine à Bagdad , April Glaspie , évoquer « la confiance américaine dans l’avenir radieux de l’Irak » (sic) . Tout a changé quelques mois plus tard ,  lorsque Saddam Hussein lança un défi à ses maîtres en envahissant le Koweït . Une officielle américaine s’était auparavant chargé d’ôter à Saddam Hussein tout crainte quant à la réaction des maîtres en expliquant que les Etats-Unis n’allaient pas défendre le Koweït si ce dernier était agressé . Saddam Hussein comptait sur un soutien diplomatique russe qui ne viendra jamais ; si ce refus russe de soutenir diplomatiquement l’Irak baasiste n’a évidemment , en soi , rien de condamnable , il ne faut pas perdre de vue les conséquences concrètes qu’il a eu sur le peuple irakien . C’est ainsi que le 17 janvier 1991 , une coalition de 28 pays (dont les USA , la France et la Grande-Bretagne) et environ 700 000 soldats se lance dans une guerre d’une violence inouïe contre l’Irak ; tout cela , rappelons-le , pour remettre au pouvoir un dictateur koweïtien . 85 000 tonnes de bombes et plus de 100 000 victimes (irakiennes) plus tard , les populations chiite et kurde se révoltaient contre Saddam Hussein .  On pouvait légitimement s’attendre à ce que la coalition aide les insurgés à chasser du pouvoir Saddam Hussein puisque celui-ci avait désormais officiellement le statut de tyran sanguinaire. Il n’en fut rien : la coalition donna , au contraire , un énième coup de main à Saddam Hussein en empêchant les rebelles d’avoir accès aux dépôts d’armes abandonnés , ce qui permis au régime baasiste de réprimer la révolte .Retenons aussi de cette guerre que jamais les Irakiens n’ont exécuté d’enfants koweïtiens dans les maternités, que l’armée irakienne a été présentée à tort comme la « quatrième armée du monde » et que les photos satellites tendant à montrer que l’Irak s’apprêtait à envahir l’Arabie Saoudite étaient bidons. Bien qu’officiellement terminée , la guerre ne l’a jamais réellement été pour la nation irakienne , qui eut à subir jusqu’en 2003 un embargo qui a coûté la vie à 500 000 enfants irakiens (embargo qui , comme c’était prévisible , n’a absolument pas affaibli Saddam Hussein).

 

 

 

 

 

 « Remarque que tromper , mentir , intriguer , ruser , c’est t’avilir , te rapetisser , te reconnaître faible d’avance […]. Fais-le si cela te plaît , mais alors sache d’avance que l’humanité te considérera petit , mesquin , faible , et te traitera en conséquence. »

                                                                           Pierre Kropotkine , La morale anarchiste

 

 

 

« Jamais au sein de l’administration républicaine , précisa O’Neil , on ne s’interrogea sur les motivations exactes de cette guerre , les seules questions examinées portant sur les moyens de la faire… et le prétexte pour la déclencher . Ce qui signifie quoi ? Que pendant deux ans et demi , le monde fut submergé d’informations qui non seulement étaient fausses , mais que leurs diffuseurs et manipulateurs en chef savaient être telles . […] Ce qui signifie également que , pendant deux ans et demi , la vie politique internationale fut infusée de mensonges , envahie et instrumentalisée par le mensonge , que tout débat intellectuel et moral ne fut rythmé et alimenté que par des mensonges , que les médias ne commentèrent que les mensonges qu’ils véhiculaient et crédibilisaient , que les principaux dirigeants de la planète ont dû se terminer par rapport à des mensonges , certains se contentant du rôle de diffuseurs passifs (Aznar ou Berlusconi) quand d’autres s’engagèrent dans leur mise en scène. »

                    Jean-François Kahn , Le camp de la guerre , Critique de la déraison impure

 

 

 

« Il n’y a pas de pire mensonge que celui qui consiste à exploiter les angoisses de millions de pères et de mères dévoués pour les convaincre d’ envoyer leurs enfants combattre dans une guerre inutile sous prétexte d’une menace parfaitement imaginaire . Un menteur qui fait croire à des millions de gens que leur vie est en danger alors qu’il s’agit simplement pour lui de régler des comptes personnels (‘Saddam a essayé de tuer mon papa !’) ou de faire gagner encore plus d’argent à ses copains multimillionnaires mérite certainement qu’on rouvre une cellule spéciale à Alcatraz. »

                                                                                        Michael Moore , Tous aux abris !

 

 

 

 

La décision d’envahir l’Irak fut prise début 2001 par l’administration Bush, à qui il manquait toutefois un prétexte. Le 11 septembre 2001, G.W. Bush ou, plus vraisemblablement, ses conseillers, comprirent tout le bénéfice qu’ils pouvaient tirer de ces actes terroristes et, rapidement, un « axe du Mal » - comprenant notamment l’Irak, l’Iran et la Corée du Nord - fut stigmatisé par Bush et ses sbires. Seul problème : l’Irak n’était aucunement impliqué dans les attentats du 11 septembre. C’est là que tout se compliqua…

Cette guerre étant nécessaire à la classe dominante américaine, il fallut lui trouver des raisons. On peut en dénombrer quatre principales, sur lesquelles un bref retour s’impose (notons en passant la remarquable servilité de l’intelligentsia française des Adler, Finkielkraut, Bruckner, Goupil, Glucksmann et autres Minc, qui durant des mois a impeccablement relayé la propagande bushiste).

La raison initialement invoquée était la présence en Irak d’ADM, raison-prétexte que personne n’a véritablement pris au sérieux, pas même Iraniens, Turcs et Saoudiens qui auraient pourtant eu quelques raisons de s’inquiéter si Saddam Hussein détenait encore de telles armes. Du reste, l’enthousiasme manifesté par l’administration Bush à l’idée d’attaquer un pays qu’elle décrivait pourtant comme doté d’un arsenal gigantesque d’ADM était pour le moins suspect. Deux hypothèses s’offraient alors : soit la présence en Irak d’ADM était un mensonge éhonté, soit les neocons préféraient provoquer la destruction du Proche-Orient que de passer à côté des gisements pétroliers irakiens. La reprise des inspections fin 2002 confirma en fait ce que tout le monde était déjà en mesure de savoir : il n’y avait plus d’armes de destruction massive en Irak depuis près d’une décennie.

Il était nécessaire de trouver un autre prétexte tant le premier avait paru ridicule à l’opinion publique mondiale : c’est ainsi que les dirigeants américains inventèrent une fable selon laquelle Saddam Hussein était lié à Ben Laden. Là encore, l’affirmation étant d’une insanité plus qu’évidente, Oncle Sam eut recours à son sport favori : l’invention de « preuves » bidons, en l’occurrence il s’agissait d’une rencontre qui se serait tenue à Prague entre des responsables des services de renseignement irakiens et le chef présumé du commando kamikaze du 11 septembre 2001. Les efforts des propagandistes américains furent vains, car personne n’accorda d’attention à ces sottises. En effet, il est un fait incontestable que l’Irak laïc  de Saddam Hussein était, non pas un allié de Ben Laden, mais plutôt une cible potentielle de ce dernier. Ben Laden qualifiait notamment le régime baasiste d’ « apostat » et avait, en 1990, proposé que ce soit sa « légion arabe » qui reprenne le Koweït aux Irakiens, et non les troupes US. Bref, de grands amis…

Le troisième argument-mensonge était que la guerre en Irak ferait reculer le fanatisme religieux (musulman), notamment dans sa version terroriste (islamiste). Il n’est pas nécessaire de s’attarder longuement sur cet argu-mensonge. Rappelons simplement que depuis la fin officielle de la guerre en Irak, le Pakistan (Karachi ,Quetta), la Turquie (Istanbul, Ankara), l’Arabie Saoudite (Riyad , Djeddah),  le Maroc (Casablanca), l’Algérie (Alger), la Syrie (Damas), l’Indonésie (Djakarta), l’Ouzbékistan (Tachkent), l’Afghanistan (Kaboul), la Russie (Moscou), la Géorgie (Gori), l’Espagne (Madrid), et cetera, ont été la cible d’attentats, sans même parler de l’Irak qui est depuis avril 2003 quotidiennement la cible de combattants wahhabites .

La dernière raison invoquée était l’instauration de la démocratie en Irak. Raison qui paraît douteuse d’emblée quand on songe au fait qu’ailleurs sur la planète, les USA se satisfont pleinement d’avoir des dictateurs pour partenaires (Ouzbékistan, Pakistan, Arabie Saoudite, Algérie et Libye depuis peu par exemple). Raison d’autant plus douteuse que Bush est arrivé au pouvoir grâce à une fraude électorale, et avec 500 000 voix de moins que son rival Al Gore.

            Il est permis de s’interroger sur l’absurdité consistant à mener une guerre « pour la démocratie » malgré l’opposition de l’écrasante majorité de la population mondiale, malgré celle de la plupart des gouvernements de la planète et malgré ces millions de manifestants qui, durant des mois, défilèrent dans les villes du monde entier pour dire non à la busherie. D’autre part, le caractère fondamentalement immoral de la pratique qui consiste à faciliter la mise en place d’un régime dictatorial, à lui venir en aide à plusieurs reprises quand la population se révolte contre lui, puis ensuite à faire payer cette même population pour les crimes d’un dirigeant qui lui a été imposé, est évident. L’invasion de l’Irak nécessitait préalablement, pour les officiels américains, un travail de réécriture de l’Histoire. Exit, donc, les louanges de Donald Rumsfeld à Saddam Hussein, exit aussi le fait que certains crimes du régime baasiste n’auraient jamais eu lieu sans l’aide américaine, l’indignation de Powell et Cheney lorsque certains sénateurs américains proposèrent de sanctionner l’Irak pour le gazage de 7000 Kurdes à Halabjah, les propos du porte-parole de Reagan, John Hugues, qualifiant le gouvernement baasiste irakien de «légitime », exit aussi  le fait que le « monstre de Bagdad » que Georges W.Bush tenait tant à chasser du pouvoir a été un bon ami de son père, exit enfin les déclarations de Collin Powell ou du général Anthony Zinni selon lesquelles le renversement de Saddam Hussein n’apporterait rien de bon à l’Irak et à la région… La réécriture effectuée, l’agression pouvait commencer.

 

            Près de deux ans après, chacun peut savoir que les trois semaines officielles de guerre ont probablement coûté la vie à 30 000 militaires irakiens et 7000 civils, que les violences en Irak ont déjà fait plus de 100 000 victimes depuis la chute du régime de Saddam Hussein, que les troupes d’occupation – qu’elles soient américaines, britanniques ou danoises - pratiquent la torture, que l’Irak est devenu le sanctuaire des combattants wahhabites du monde entier, qu’il n’y avait aucune armes de destruction massive en Irak, que l’Irak n’est pas une démocratie, que les troupes américaines ont détruit Falloudja, une ville de 300 000 habitants… Malgré cela, les USA s’en sortent très bien, a fortiori comparé au peuple irakien. Selon la règle qui veut que les vainqueurs d’une guerre ne sont jamais jugés, ni Bush, ni Rumsfeld, ni Powell, ni aucun autre homme politique américain n’aura à répondre des crimes de guerre de la « coalition » en Irak. De plus, et une fois encore, les terroristes wahhabites étrangers venus combattre en Irak servent les intérêts américains, en prenant pour cible les chiites et les communistes. L’absence  d’armes de destruction massive ne constitue pas non plus un souci dans la mesure où la parade a été trouvée depuis bien longtemps, à coup de « ce n’est pas parce qu’on n’en trouve pas qu’il n’y en a pas » et de « Saddam Hussein les a données à la Syrie avant la guerre ». Quant à savoir qui sont les commanditaires des attentats du 11 septembre 2001,  un rapport américain officiel tend à dédouaner l’Irak baasiste de toute responsabilité, mais pointe maintenant du doigt l’implication de l’Iran dans ces attentats. Mais… Oh ! Que vois-je ???!!? Quelle folle coïncidence ! C’est justement l’Iran qui est la cible désignée de la prochaine agression yankee…

 

 

 

 

 

 

 à lire :

-          le roman de Denis Gorteau : A mort l’Irak, Yvelinédition, 2006

 

 

 

 

 

 

index