Thèses sur leur démocratie
« La démocratie, c’est Sarkozy. »
Une banderole (Rennes, novembre 2007)
« Pourquoi les chiffres fascinent-ils
tant de simples d’esprit et les impatients toujours friands de références et de
certitudes ? Un chiffre ne se discute pas, en quelque sorte par définition ; il y a bien une virilité
imbécile du chiffre entêté et toujours prêt à s’abriter derrière une espèce
d’immunité scientifique. »
Gilles Châtelet, Vivre et penser comme des porcs, De l’incitation à l’envie et à l’ennui dans les démocraties-marchés
I
Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy de Nagy-Bocsa, les partisans de l’ordre établi, de gauche comme de droite, n’ont qu’un mot à la bouche : démocratie. Selon leur idéologie, un homme politique est « légitime » dès lors qu’il a été « élu démocratiquement ». En France, pour être élu démocratiquement président, il faut obtenir 50% des voix plus une voix, lors d’un vote à bulletin secret au suffrage universel ( ?) direct. A ce titre, Sarkozy bénéficie d’une « forte légitimité populaire » puisqu’il a obtenu pas moins de 53% des voix le 6 mai dernier. La conclusion logique de tout ceci nous est matraquée quotidiennement par les journalistes aux ordres : si Sarkozy est « légitime », ses « réformes » le sont aussi, donc sont « illégitimes » et « anti-démocratiques » toutes les tentatives d’opposition à la politique sarkozienne.
II
Les sarkozystes, de droite comme de gauche, avoués ou honteux, hommes politiques, journaleux ou autre, savent pertinemment qu’il ne leur sera pas possible de se servir durant 5 ans des minables « 53% » du 6 mai 2007 comme d’un bouclier. D’où l’utilité du recours aux sondages : grâce à des instituts de sondages tels que l’IFOP (appartenant à Laurence Parisot, présidente du MEDEF), c’est le 6 mai 2007 tous les jours ! 57% des Français adorent Sarkozy par ci, 60% des Français condamnent la grève par là, une majorité de Français approuvent les tests ADN… et ainsi de suite. Le seul problème, c’est que ces sondages ne valent rien : les échantillons de « sondés » ne sont pas « représentatifs de la population française âgée de 18 ans et plus » (ce qui est l’extravagante prétention des instituts de sondage), ils sont uniquement représentatifs de la population française âgée de 18 ans et plus acceptant de répondre au sondage. De surcroît, au risque d’enfoncer une porte ouverte, la formulation des questions joue pour beaucoup dans les réponses obtenues : voila pourquoi plusieurs sondages réalisés le même jour et portant sur le même thème aboutissent à des résultats très différents.
III
L’invocation permanente des si merveilleusement démocratiques « 53% » du 6 mai 2007 et la mise en avant des divers sondages favorables à Nicolas Sarkozy participent d’une seule et même problématique : il s’agit pour la bourgeoisie de trouver une justification à la poursuite et la radicalisation des contre-réformes néo-libérales (initiées par le social-démocrate François Mitterrand il y a 25 ans) sans se référer à une quelconque morale. En effet, la bourgeoisie ne peut pas se référer à sa propre morale, en tant que classe sociale, pour une raison simple : elle n’en a pas, elle est parfaitement amorale. Seul compte pour elle le pognon. Habituellement, elle s’en fout plein les poches par des méthodes nettement répréhensibles (guerres impérialistes, exploitation des esclaves salariés…), mais elle ne répugne pas non plus à s’enrichir grâce à la pléthorique et très hypocrite industrie de la bonne conscience : CD pour sauver le Darfour, livres de Nicolas Hulot, produits bio, places pour le prochain concert du chanteur degauche à la mode, cartes d’adhérent au Parti Socialiste ou à Attac... Certes, il faut reconnaître que Sarkozy s’acharne (en fait, depuis 2002) à redonner un nouveau souffle aux religions et à leur morale toujours en faveur des riches: en nommant la catholique intégriste Christine Boutin dans son gouvernement (et une ou deux musulmanes, pour ne pas faire de jaloux), en promettant la destruction de la loi de 1905 sur la laïcité, et cætera. Mais les classes populaires du pays sont massivement athées, et il est probable que les curés – même secondés par les imams, les rabbins et autres gourous – échouent à les convaincre de l’utilité de se faire exploiter plus pour gagner moins. Et, de toute façon, Nicolas Sarkozy de Nagy-Bocsa et sa clique savent pertinemment que remplir de nouveau les lieux de cultes de pauvres est un projet de longue haleine; d’où, en attendant un hypothétique succès de ce projet, le rappel fréquent des « 53% » et, surtout, des derniers sondages bidons en date.
IV
Les réactions des partisans de l’ordre établi face au mécontentement généré par la politique sarkozienne – et, surtout, face aux formes par lesquelles il s’exprime – aident à comprendre ce qu’est, pour eux, la démocratie. Quand le premier ministre François Fillon dénonce les actuelles grèves dans les facs comme étant « politiques », cela peut surprendre quelques personnes crédules qui se demanderont : comment nos dirigeants peuvent-ils se réclamer de la démocratie tout en faisant un usage dépréciatif de l’adjectif « politique » ? C’est très simple : pour la classe dirigeante et ses laquais, la démocratie idéale est une démocratie-marché dans laquelle l’individu-consommateur bénéficie de tout un tas de libertés de choix: Leclerc ou Auchan, Quick ou Macdo, TF1 ou Arte, VSD ou Paris Match, et bien d’autres dilemmes tout aussi cruels… Pour ce qui est de la politique, par contre, dans la démocratie si chère à nos gouvernants, cela consiste uniquement à choisir, à chaque élection, entre quelques candidats qui se disputent sur la manière adéquate de gérer le capitalisme mais qui, tous sans exception, acceptent le postulat de base du caractère éternel de l’État et des classes sociales.
V
Dans la conception
dominante de la démocratie, il est préférable que les masses ne s’intéressent
pas à la politique. C’est pour cette raison que nos dirigeants n’hésitent pas à
faire ouvertement l’éloge de la « majorité silencieuse », celle qui
ne prend pas part activement à la vie de
VI
Cette glorification de la « majorité
silencieuse » par la bourgeoisie et ses merdias se change instantanément
en une haine non dissimulée pour les classes populaires à chaque fois qu’il
n’est plus possible de cacher le fait qu’elles sont majoritaires – au regard
même des critères démocratiques dominants – à ne pas penser comme il faut (c’est-à-dire : à ne pas penser
comme l’élite). Suite à la victoire du non lors du referendum du 29 Mai
2005, les partisans de l’Union Européenne capitaliste nous ont alors expliqué
que ce salaud de peuple (en particulier ces salauds d’ouvriers, qui ont presque
tous voté non) était tour à tour ou simultanément : nazi, inculte,
ringard, réactionnaire, poujadiste, illettré, antisémite, nationaliste,
archaïque, conservateur… De même, si la
vaste majorité des salariés et de la jeunesse a soutenu les grandes grèves de
février à avril 2006 – et que des millions d’entre eux ont pris part aux
manifestations – ce n’est pas parce qu’elle avait de bonnes raisons de refuser
le CPE et son monde… Non, détrompez-vous : c’est uniquement parce que
tous ces gens-là n’étaient que des naïfs manipulés par les syndicats et
l’extrême-gauche, ou alors des
staliniens, ou bien des débiles inaptes à comprendre les sacrifices rendus
nécessaires par la mondialisation, ou enfin des anti-démocrates qui osent
demander le retrait d’une loi votée par les députés – ces inénarrables
« représentants de
VII
La réponse des gouvernants aux récents blocages (des trains par les cheminots, des avions par les stewards et les hôtesses d’Air France, des facs par les étudiants…) est sans ambiguïté : envoi des CRS, des gendarmes mobiles, matraquages, lacrymos, gardes à vue, projet d’élargissement du service minimum au transport aérien, assimilation des grévistes à des « terroristes », menace d’intervention de l’armée... Ces réactions de fureur nous rappellent opportunément que « la démocratie-marché sera fluide ou ne sera pas » (cf. Gilles Châtelet, Vivre et penser comme des porcs…), que les flux (de marchandises, de personnes, d’informations…) y jouent un rôle prépondérant et que sa devise est: « tu bouges ou tu crèves! » (Ibid).
VIII
Le blocage des
facultés nous permet de constater encore une fois que le vote à bulletin secret
est une arme entre les mains des anti-grévistes. Ces derniers savent bien que les grèves commencent à main levée et se
terminent à bulletins secrets. Le président de
IX
Lorsqu’ils
sont confrontés à ceux qui dénoncent le charlatanisme de leur démocratie de consommateurs apolitiques, atomistiques et fluides, les valets du système capitaliste s’en sortent très
souvent par une acrobatie sophistique du genre de celle-ci: « mais, au
fond, puisque vous aimez si peu la démocratie et que vous êtes communistes,
pourquoi n’iriez-vous pas vivre en Corée du Nord ? ». Certes, le
caractère outrancier de la question lui ôte son pouvoir de nuisance. Mais,
parce que des propos de ce type sont récurrents – un président d’université,
ancien mao mais toujours salaud, ne vient-il pas de traiter les grévistes de « Khmers rouges » ? – ils
requièrent qu’on y consacre quelques lignes. Tout d’abord, remarquons que le
régime nord-coréen n’est guère plus dictatorial que le régime gabonais que
Sarkozy considère comme démocratique (cf. ses propos du 27.07.2007, à
Libreville). Parions que si les dirigeants nord-coréens annonçaient la
découverte dans leur pays d’importantes réserves de pétrole ou de gaz naturel,
il ne s’écoulerait pas une heure avant que Nicolas Sarkozy de Nagy-Bocsa ne range Kim Jong-il dans la
catégorie des « démocrates ». Quant à Bernard Kouchner, s’il n’a pas
encore rédigé de rapport affirmant que les travailleurs nord-coréens sont bien
traités, c’est simplement parce que le groupe Total, son employeur, ne le lui a
pas demandé. Le stalinisme, dans toutes ses variantes, est coupable du meurtre
de millions d’exploités, à commencer par les plus révolutionnaires d’entre
eux ; et la clique bureaucratique au pouvoir en Corée du Nord a beau être peinte en rouge, elle n’en reste pas
moins une classe dominante donc, pour nous, une cible à abattre. De plus, les
staliniens ont à maintes reprises volé au secours du pouvoir français (lors des
grandes grèves de 1936, à
X
Les démocrates bien-pensants aiment
voir partout des atteintes à leurs « libertés »
(liberté d’étudier, liberté de travailler, liberté de circuler…) et les
dénoncer vigoureusement. Ces
dénonciations horrifiées paraîtraient plus sincères si leur conception étriquée
de la liberté (selon
XI
Quant à nous, nous disons clairement que les grèves, insurrections et révolutions dont nous nous voulons les continuateurs ont toujours été, du moins à leur commencement, le fait d’un nombre restreint d’individus. Mais les minoritaires d’hier – Sans-Culottes, Communards, Résistants – dominent les sommets de l’Histoire tandis que les « majorités silencieuses », si chères à l’orthodoxie démocrate, n’y ont aucune place. Si cela peut consoler ces braves démocrates, dans la panoplie des misérables « libertés de… » dont ils disposent, il y a aussi celle de regarder silencieusement – quand ce n’est pas, carrément, en applaudissant des deux mains – les capitalistes mettre à mort la planète. Comprenez-les : après tout, les Bush, Sarkozy, Merkel, Prodi et Cie sont parfaitement légitimes … N’ont-ils pas été élus démocratiquement ?