Il fallait voter oui à Maastricht car cela nous ouvrait les portes du paradis terrestre. Telle était la version officielle avant le référendum. Mais une fois la victoire du oui acquise, certains se félicitaient, non sans cynisme, du fait que les « perdants sociaux » (du moins ceux qui daignent encore se rendre aux urnes) n’avaient plus désormais un poids électoral suffisant pour s’opposer à la « construction européenne ». Emblématique est à cet égard l’article de J.Levy dans Libération du 25 septembre 1992, « Un nouvel espace légitime ».

 

 

 

 

 

 

Pour la première fois, la recomposition l’emporte désormais sur la décomposition. C’est d’abord vrai pour la dimension sociologique du vote [lors du référendum sur le traité de Maastricht]. Pour la première fois depuis l’institution du suffrage universel, une majorité s’est constituée sans – c’est à dire contre- à la fois les ouvriers et les paysans. Cette possibilité avait été ouverte par les évolutions de la structure sociale : le dernier recensement a montré que le bloc cadres supérieurs et cadres moyens constitue la première force démographique parmi les actifs. Cet événement revêt une signification. D’une part, il signifie la défaite politique des « perdants » sociaux, qui cessent d’être les arbitres de la légitimation des grands courants politiques. […]

Les patrons dynamiques, innovateurs et exportateurs n’ont plus besoin de traîner les BOF, qui, eux, cèdent plus ardemment que jamais à l’idéologie beauf. Les intellectuels ne voient plus l’intérêt de se prétendre les mandataires naturels du prolétariat : l’affaiblissement des grands récits eschatologiques leur a enlevé le goût du sacrifice pour un « peuple » dont, en outre, la crise d’existence renforce les inclinations corporatistes, peu compatibles avec les nouveaux universalismes. […]

Riches et cultivés se sont donc retrouvés, pour des raisons différentes mais convergentes, en faveur de l’Europe. Marché et culture, finances et communication ont en commun de se penser et de s’organiser en réseaux, à plusieurs échelles, du local au mondial, sans donner à une seule l’exclusivité. C’est justement l’inverse qui unit la « France qui perd » : la crispation ethnique, géopolitique et socio-économique sur un échelon unique, celui de l’Etat-nation. […]

L’espace du « oui » n’est pas un territoire mais un réseau. Les points qui le composent ne se touchent que par les lignes des flux de l’information et de la culture. Il n’est qu’un élément d’une vaste Hanse européenne –dont les points se trouvent à une heure d’avion, bientôt à deux ou trois heures de TGV- elle-même connectée à d’autres réseaux, ceux des mégapoles nord-américaines et japonaises. Beaucoup de Parisiens à forte identité « centrale » se sentent plus proche de New-York que de la « province ». […]

La victoire  de l’urbanité et l’alliance des grandes villes qu’elle suppose constitueraient, si elles se confirmaient, une rupture spectaculaire. Aujourd’hui, Montpellier et Toulouse ne veulent plus mourir pour les viticulteurs et les producteurs de maïs. […]

La culture, la ville, l’Europe : ce ne sont pas là des rencontres de circonstance. Chacun des termes constitue en somme une métaphore des deux autres. Les détenteurs de capital culturel et de capital urbain délivrent donc un message qui va au-delà de la seule question européenne et annonce de nouvelles configurations du discours et de l’action politiques. Ils expriment l’émergence d’une conception post-économiciste et post-étatiste du social…

 

 

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