L’européisme, stade suprême du capitalisme

 

 

 

 

 

« Il faut croire qu’en matière européenne notre faculté de jugement est fortement amoindrie, tant il est vrai que l’Europe semble vouée à détruire sans pitié cet esprit critique que l’on dit pourtant européen. […] La ruse de cette histoire renoncée allait précisément être de nommer Europe son projet de décomposition de la civilisation européenne, projet d’abord fondé sur la destruction de tout ce qui l’avait précédé, renvoyé dans l’obscurité de la tradition. Susceptible d’engendrer de coupables liens entre les hommes, la nation devait être promptement sacrifiée à la nouvelle idole, parée, qui plus est, des atours de la science. »

                                                                                          Elisabeth Lévy, Les Maîtres Censeurs
           

 

 

 

 

 

« La baisse tendancielle du taux de profit s'accélère, la saturation des marchés mondiaux s'intensifie à tel point que l'économie est toujours plus menaçante pour la classe qui en profite.
Face à l'insécurité des marchés planétaires, les exploiteurs en sont réduits à disloquer, à détruire, les forces productives.
La recherche effrénée de la diminution drastique des coûts de production consiste présentement à mutiler expérimentalement dans leur intimité la nature et les êtres vivants en manipulant les gènes notamment. Parallèlement, il s'agit de provoquer l'effondrement du coût du travail.
Plus que jamais, la valorisation du Capital s'effectue par l'abomination, la destruction de la civilisation, la haine de l'être humain. […]
 Aussi tout prolétaire conscient, raisonné et déterminé à lutter doit regarder les institutions européennes comme le bras armé de la classe dominante destiné à ravager les conquêtes de la classe ouvrière pour, dans un même élan, l'écraser définitivement. […]
L'instauration des institutions européennes supranationales signifie le déclin de la démocratie parlementaire au profit d'un totalitarisme où la finance mondiale dicte à ceux qui gèrent les masses ses ordres indiscutables.
Dans cette perpective, la région tend à devenir l'institution principale au plan local, plus efficace que la dimension nationale pour contrôler les exploités. La tentative de détruire les nations européennes ne se fait évidemment pas par un dépassement du cadre national pour établir le communisme mondial et sans frontière. Ce processus de régionalisation vise à détruire ce qui reste de l'unité de classe du prolétariat. La reconnaissance du citoyen libre de pensée et d'opinion va s'éclipser pour faire place au droit de l'individu reconnu strictement par son appartenance communautaire, ethnique ou religieuse. »

                                                                                                                                         Rapaces

 

 

 

 

 

            « Jamais ailleurs, les droits et les libertés politiques, sociaux et économiques des citoyens, ainsi que les garanties concrètes de leur réalisation n’ont été fixés plus clairement et plus pleinement que dans le projet de notre Constitution. » On pourrait très facilement croire que ces propos sont ceux du socialiste François Hollande au sujet du TCE… Il s’agit en réalité de ceux de Brejnev relatifs à la Constitution soviétique de 1977. Cette similitude dans les termes employés n’a rien d’anodine car -il ne faut pas s’y tromper-, qu’elle soit Soviétique ou Européenne, l’ « Union » est fondée sur l’exploitation du plus grand nombre par une minorité de possédants. La différence réside dans le fait que, de temps à autre, les divers traités relatifs à la « construction européenne » [1] sont soumis à ratification par voie referendaire. Et, pour assurer une victoire du oui, la recette ne varie guère d’un référendum à l’autre: assimilation de l’euroscepticisme ou de l’anti-européisme à du nazisme, mensonges et calomnies, recours massif à la pédagogie-propagande, mépris affiché pour la démocratie…

 

            En matière d’européisme, c’est incontestablement le PS qui tient le haut du pavé. La gauche bourgeoise, « avant-garde éclairée », sait ce qui est bon pour la nation française… mais préférerait ne pas avoir à connaître son avis. Comme le disait Strauss-Kahn: « Ce référendum est une connerie. Nous avons fait la connerie de le demander et Jacques Chirac a fait la connerie de le convoquer ». On voit ici à quel point les sociaux-démocrates se soucient de ce que pense le peuple [2], et quelle conception élevée ils ont de la démocratie.

Le PS n’a certes pas plus d’arguments qu’avant le 21 avril 2002 mais il a désormais un épouvantail à brandir : la menace du retour de la peste brune, avec Le Pen dans le rôle du néo-Hitler marchant sur l’Elysée… Une victoire du « non » serait un « nouveau 21 avril » nous répètent-ils, sans jamais motiver clairement cette comparaison fallacieuse. En effet, si la présence au second tour des dernières présidentielles du plus réactionnaire des candidats en lice a été une claque pour bon nombre d’exploités, c’est cette fois une acceptation –et non un refus- de ce TCE réactionnaire qui en serait une. Ne reculant devant rien, Hollande a affirmé que « si Le Pen ne se fait pas entendre c’est parce que d’autres font le travail pour lui ». Il y a chez les socialiste pro-oui une irrésistible envie de remplacer la question : « approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe ? » par « détestez-vous Adolf Hitler ? ». Il serait tellement plus facile ainsi d’obtenir une majorité de « oui »! Et puisqu’il fallait absolument faire croire que les partisans du non étaient tous des nostalgiques du IIIè Reich, et que les journalistes-de-gÔche n’avaient pas de déclarations pro-nazies sous la main, ils en ont inventé une. Pour ce faire, ils ont eu recours à la technique déjà bien rôdée du glissement sémantique [3]. Henri Emmanuelli ayant affirmé que la majorité des socialistes n’avait pas toujours raison et pris l’exemple de la majorité ayant voté les pleins-pouvoirs à Pétain en 1940, la classe médiatique et politique dite « de gauche » s’est empressé d’y voir un « dérapage ». Pour un journaliste social-démocrate, l’affirmation d’Henri Emmanuelli semblait en  fait signifier « collaborer avec les nazis est beaucoup moins grave que voter ‘oui’ au référendum » et donc, au final, «comparés au TCE,  les camps d’extermination ne sont qu’un détail de l’Histoire».

Citons aussi cette phrase de Bertrand Delanoë : «Ce qui me peine, c'est que je crois que vraiment le virus de l'extrême droite s'est introduit dans le 'non' à la Constitution européenne, et donc il peut annoncer si le 'non' l'emportait en France un deuxième bug démocratique.» « virus », « bug »…là encore, on perçoit nettement ce que devient la démocratie une fois diluée dans l’UE: un simple enchaînement de procédures, ralenti de temps à autre par des erreurs de manipulation (du peuple).

           

Les Verts ne sont pas en reste en matière d’hystérie européiste matinée de néostalinisme.Comment ne pas évoquer le « cas » Daniel Cohn-Bendit, ce « tuteur du pire conformisme médiatique » (Jean-François Kahn) ? Cet abject libéral-libertaire se montre certes totalement incapable de convaincre par des arguments, mais il bénéficie de la totale dévotion de la majeure partie de la classe médiatique. Qu’on se le dise: il y aura toujours un journaliste-de-gÔche pour accuser d’antisémitisme l’imprudent qui refuserait de se prosterner devant Saint Cohn-Bendit… Dominique Voynet, quant à elle, se plaît à dire des opposants au TCE qu’ « ils sont nationalistes, populistes, et singulièrement conservateurs et réactionnaires ». Venant d’une sinistre imbécile qui ne voyait pas dans le naufrage de l’Erika une catastrophe écologique, les tenants du non ne peuvent qu’être flattés d’être décrits de la sorte. Et lorsque l’européiste Alain Lipietz qualifie, en se voulant méprisant, les partisans du non de « défenseurs de l’Europe des nations », on touche à un des objectifs-clés de l’UE : détruire les nations européennes. Dans ce domaine, les Verts sont sur la même longueur d’onde que les technocrates européistes : haine féroce des nations là où elles sont une réalité, mais soutien enthousiaste apporté à des micro-régionalismes absolument marginaux [4].

 

Le PCF et les altermondialistes jouent à merveille leur partition: s’ils appellent à voter non, c’est à « l’Europe libérale » et non pas à l’Europe capitaliste. Une taxation –fut-elle infime- des flux de capitaux, des politiques dites « de relance » ici et là, et leurs vœux auraient été comblés… On mentionnera d’ailleurs leur légalisme scrupuleux et leur profond respect du Système. En effet, Marie-Georges Buffet tout comme José Bové accréditent par leurs propos l’idée d’un « verrou libéral» qui sauterait si le non l’emporte et donc, implicitement, celle d’une lutte qui deviendrait inutile car vouée à l’échec si c’est le oui qui sort vainqueur. Comme si les exploités devaient se sentir liés par la valeur constitutionnelle donnée à un document épais autant que rebutant, et qui ne leur promet rien d’autre que du capitalisme enrobé de Droits de l’Homme et assaisonné de Religion ! Enfin, ce n’est guère une surprise, les bureaucraties syndicales de toute l’UE, en forces contre-révolutionnaires qui se respectent, appellent massivement à voter oui au référendum.

 

 

Après avoir rappelé les différentes modalités de ralliement des forces dites « de gauche » au capitalisme, il convient d’analyser la résurgence de certaines pratiques malhonnêtes, voire franchement staliniennes, à chaque poussée de fièvre européiste.

 

La réécriture du passé est au rang de ces pratiques caractéristiques des journalistes et hommes politiques européistes. Ainsi, il faut voter oui au référendum parce qu’en cas de victoire du non, c’est l’ignoble traité de Nice qui continuera à s’appliquer. Seul problème : les partisans du oui au référendum ont longtemps pensé le plus grand bien du traité de Nice. Comme l’a dit Pierre Moscovici, « Nice constitue un progrès » ; pour Hubert védrine, « le traité de Nice recèle de belles potentialités » ; quant à Lionel Jospin, il a estimé que « le sommet de Nice a été un rendez-vous réussi » . Selon Jacques Chirac, « l’histoire retiendra qu’à Nice une volonté s’est exprimée. L’Europe s’est mise en ordre de marche pour achever son unité » .

Dans le même ordre d’idée, les pro-oui, non contents de trafiquer une photo de Jaurès en remplaçant le drapeau rouge par un drapeau européen, ont décidé de faire voter les morts : « Jaurès vote oui ! » prétend-t-on à gÔche, « De Gaulle vote oui !» affirme-t-on à droite. Au fond, l’Histoire n’est plus autre chose que celle décrite dans le 1984 d’Orwell: « un palimpseste gratté et réécrit aussi souvent que […] nécessaire » …

 

Les européistes se caractérisent par un mépris du réel et par une propension impressionante à croire leurs propres mensonges.  L’ « argument » qui revient sans cesse chez eux est que la construction européenne a apporté la paix en Europe. Il s’agit là d’un mensonge éhonté. Un calme précaire règne certes en Irlande du Nord, mais ce depuis 1999 seulement, soit 26 ans après l’entrée du Royaume-Uni dans la CEE, et ce calme est absolument sans lien avec cette dernière. Quant aux bombardements massifs de la Serbie en 1999, on ne saurait passer sous silence le fait que le Royaume-Uni et la France y ont pris part et que ce sont les services secrets allemands qui ont concocté un plan dit « fer à cheval » qui a servi à les justifier. L’armée russe qui s’escrime depuis maintenant onze ans à faire disparaître la nation tchétchène ne semble pas non plus empêchée outre mesure par la « construction européenne ». L’Union Européenne n’a pas apporté la paix en Europe et n’empêche nullement les bourgeoisies européennes d’exporter leurs sales guerres, du Timor-Leste jusqu’au Rwanda.

 

Les européistes foulent aux pieds les règles de démocratie les plus élémentaires. Comme le notait fort justement Phillipe de Villiers, « la campagne a basculé dans la propagande d'Etat » et « les journaux télévisés du 20 heures […] ont été mis en location gérance pour le 'oui’» . France Inter tout autant que France 2 sont des canaux de propagandes quasi-continuelle en faveur du TCE. A cet effet, même des émissions dites « de divertissement » ont été « réquisitionnées », et le semi-comique Laurent Ruquier se vautre tous les soirs dans l’européisme le plus abject. On ne peut omettre de signaler la remarquable performance de Christine Kouchner Ockrent, qui s’est engagée de manière si peu discrète en faveur du oui qu’elle a été « rappelée à l’ordre » par le CSA.

A vrai dire, on n’avait plus atteint un tel degré de propagande depuis l’entre deux tours des dernières élections présidentielles, où tous les mass-medias, service public compris, sommaient ouvertement les Français de devenir chiraquiens et voyaient un nazi derrière chaque non-chiraquien. « Réquisition » des télévisions et radios publiques, distribution de propagande dans les lycées, envoi de propagande avec les textes du traité constitutionnel (sous prétexte d’ « explication »), campagne d’affichage… malgré tout cela, les européistes ont l’audace de se plaindre de la « désinformation » que, selon eux, pratiqueraient les rares tenants du non qui arrivent à s’exprimer dans les mass-medias ! Guy Debord, dans ses Commentaires sur la société du spectacle, avait apporté un éclaircissement à ce phénomène : « Le concept confusionniste de désinformation est mis en vedette pour réfuter instantanément, par le seul bruit de son nom, toute critique que n’auraient pas suffi à faire disparaître les diverses agences de l’organisation du silence. […]Là où la désinformation est nommée, elle n’existe pas. Là où elle existe, on ne la nomme pas ».

Quoi qu’il en soit, les européistes, par la voix de Jacques Delors, ont d’ores et déjà prévenu le peuple français: comme les Danois pour Maastricht et les Irlandais pour Nice, vous voterez jusqu’à ce que oui s’ensuive ! Cette technique est fort simple : si, malgré des mois de propagande hystérique, une nation européenne a l’outrecuidance de rejetter un traité européen, on lui rajoute six nouveau mois de propagande culpabilisatrice sur l’air du « vous êtes des nazis ! » et ensuite on la fait revoter. La malheureuse nation finit généralement par céder, excédée qu’elle est par tous ces « experts » qui lui expliquent à longueur de journée que, même si elle ne s’en rend pas compte, l’Union Européenne veut son bien… Dans une optique de destruction de ce qui subsiste de démocratie en Europe, nul doute que la gÔche européiste songera un jour a étendre cette technique du vote-avec-un-seul-résultat-acceptable aux élections : cela rendrait impossible tout mauvais coup du peuple, l’éviction du candidat social-démocrate dès le premier tour d’une présidentielle par exemple…

 

Tout en faisant continuellement l’amalgame entre Le Pen et l’intégralité des tenants du non, la gÔche européiste fait semblant d’ignorer que le TCE est plébiscité par le baron Seillière, les fascistes italiens, une partie des « bushistes » français et le néonazi autrichien Jorg Haider. Il est effectivement impossible pour cette gÔche là de reconnaître que de notoires ordures voteront oui au référendum sans, du même coup, tirer un trait sur le raisonnement plus que rudimentaire qui constitue son fonds de commerce : Le Pen est le Mal et Le Pen vote non, donc je vote oui pour me situer dans le camp du Bien. Ce chantage à l’antilepenisme a fait long feu : il n’empêchera nullement, et c’est heureux, des millions de Français de voter non au referendum. Passer pour des nationaux-socialistes aux yeux des sociaux-traîtres, voilà qui est nécessaire pour briser le Consensus européiste...

 

 

 

 

 

 

 

[1] Terme orwellien utilisé pour désigner la destruction des nations européennes et de la civilisation.

 

[2] Le peuple, et c’est tant mieux, leur rend parfois la pareille, en se désintéressant totalement des belles paroles social-démocrates : 88,8% des Français inscrits sur les listes électorales n’ont pas voté pour le candidat socialiste au premier tour des dernières élections présidentielles.

 

[3] Dans un ouvrage collectif intitulé Antisémitisme: l’intolérable chantage, Israël-Palestine, une affaire française?, Michel Warschawski illustre ainsi la technique du glissement sémantique : « Quand on dit ‘l’assassinat délibéré de civils par des unités de l’armée israélienne est un crime de guerre’, on n’exprime pas un jugement –vrai ou faux- fondé sur une règle connue du droit de la guerre, mais, par glissement sémantique, il faut comprendre que ‘les juifs sont des criminels de guerre’ et donc ‘le judéocide nazi était justifié’, tout comme l’affirmation ‘je n’aime pas le poisson farci’ signifie en fait, par glissement sémantique, ‘je hais les juifs askhénazes’ ».

 

[4] Que l’on songe par exemple aux listes communes Verts-Union Démocratique Bretonne lors des élections européennes de 2004.

 

 

 

 

 

 

 

 

Annexes :

commentaires_d_apres_Maastricht

argumentaire_detaille_des_partisans_du_oui

Appel de Cochin (Jacques Chirac, 1978)

 

 

 

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