« Le discours spectaculaire tait évidemment, outre ce qui est proprement secret, tout ce qui ne lui convient pas. Il isole toujours, de ce qu’il montre, l’entourage, le passé, les intentions, les conséquences. Il est donc totalement illogique. Puisque personne ne peut plus le contredire, le spectacle a le droit de se contredire lui-même, de rectifier son passé. »
Guy Debord, Commentaires
sur la société du spectacle
A
l’instar de la fausse gauche qui ne trouve de justification à son existence que
dans un «antifascisme»
de mauvais aloi, les capitalistes en général en sont aujourd’hui rendus à
justifier leur politique- pénurie d’arguments oblige [1]- par une manœuvre de
diversion ainsi formulable : le communisme c’est pire. Analysons cet
anticommunisme en nous appuyant sur ce que la bourgeoisie considère désormais
comme un danger : la vérité.
Et
tout d’abord, rappelons à la bourgeoisie comment elle s’est comporté et se
comporte encore face à des régimes se prétendant fallacieusement « socialistes » voire « communistes ».
Car, vis-à-vis de ces régimes, elle est loin de n’avoir éprouvé que de
l’hostilité.
Le totalitarisme stalinien lui apparut assez
rapidement fréquentable, une fois dissipés les préjugés et écarté le risque de
voir
Le
cas du « communisme » chinois est tout aussi significatif. Dans un
premier temps plutôt méfiantes à son égard, les bourgeoisies occidentales s’en
rapprochèrent progressivement, à commencer par la bourgeoisie américaine.
L’objectif était alors d’exploiter la division Chine-URSS au détriment de cette
dernière. A partir de la fin des années 70, la lutte contre l’URSS prit la
forme d’une politique de soutien aux fascistes verts menée simultanément par le
Capital yankee et la bureaucratie chinoise. En 1979, l’invasion du Vietnam par
En
matière de cynisme des bourgeoisies occidentales, le cas du Cambodge est tout
aussi éloquent que le précédent. D’avril 1975 à décembre 1978, les Khmers
rouges sont au pouvoir au Cambodge. Les massacres qu’ils y commettent sont
d’une ampleur gigantesque, au point que l’on parle régulièrement des exactions
des hommes de Pol Pot comme d’un génocide. Les bourgeoisies occidentales et
leur presse comparent alors Pol Pot à Staline [5]. A la fin de l’année 1978,
le Vietnam envahit le Cambodge et chasse Pol Pot du pouvoir, en partie pour
des motifs ayant trait à la sécurité de son territoire, régulièrement victime
d’actions terroristes des Khmers rouges lancées depuis le Cambodge. Le
statut de Pol Pot change illico: de Staline bis, il devient un courageux
résistant aux ignobles agresseurs vietnamiens - agresseurs qui, par leur
invasion, ont pourtant mis fin à ce qui jusque là était considéré comme un
génocide ! Washington se lance alors dans un soutien total à Pol Pot
et ses hommes, désormais dans le camp du Bien. La coalition dite du
« Kampuchea démocratique », s’appuyant surtout sur les Khmers rouges,
reçoit un soutien diplomatique et militaire de la part des USA. Des
informateurs du Congrès américain affirment que « le gouvernement
Reagan a suivi son nouvel allié chinois sans écouter ses amis d’Asie du Sud-Est
qui voulaient affaiblir le régime déchu de Pol Pot (ami de
Ceausescu a également bénéficié du soutien du Capital yankee. En 1983, le vice-président G. Bush ne cachait pas
son admiration pour les prétendus progrès économiques et politiques accomplis
sous Ceausescu et pour son « respect des droits de l’homme
(sic) ». Pseudo « respect des droits
de l’homme » qui n’empêchait pas l’ambassadeur de Reagan en Roumanie de
démissionner deux ans plus tard, justement parce que Washington lui reprochait
de s’intéresser un peu trop à cette question ! Le secrétaire d’Etat G. Shultz a également
encensé
L’on
peut facilement déduire de ces données factuelles que n’importe quel régime
dictatorial voire totalitaire se prétendant hypocritement
« communiste » peut recevoir le soutien de telle ou telle bourgeoisie
occidentale, dès lors que cette dernière y a quelque chose à gagner. En
revanche, tous les régimes et mouvements jugés un peu trop défavorables à la
bourgeoisie se verront qualifiés de « communistes » par ceux qui
veulent les discréditer, quand bien même ces régimes et mouvements n’auraient
absolument pas pour but de fonder une société sans classes ni Etat. Par exemple, lorsque les capitalistes
américains disent du président vénézuelien Chavez que c’est un
« rouge », il faut seulement comprendre que cet homme politique est
souverainiste. Les anticommunistes n’en sont de toute façon pas à une
fumisterie près, eux qui n’hésitent pas à reprocher aux communistes leur
athéisme, puis à qualifier Fidel Castro de « communiste ». Or, le
soi-disant communiste Castro s’appuye justement sur la religion pour chloroformer
le prolétariat cubain [8]…
Il
est une autre donnée que les bourgeoisies ont en leur possession, mais qu’elles
se gardent bien de rappeler : le Parti Communiste leur est plus d’une fois venu
en aide. Car, là où une bourgeoisie largement discréditée aux yeux du
prolétariat échoue à faire passer une politique ou à mettre fin à une grève, un
PC disposant d’une forte influence au sein du prolétariat peut réussir.
C’est à juste titre que, dans ses Conseils Ouvriers, Anton Pannekoek dit du Parti Communiste qu’en «
cultivant et en inculquant sous le nom de discipline ce vice majeur qu’est la
soumission –vice que les travailleurs doivent éradiquer-, en supprimant toute
trace de pensée critique indépendante, il a empêché le développement de toute
force réelle de la classe ouvrière. » Et
il y a déjà longtemps, fort longtemps, que le Parti Communiste est
contre-révolutionnaire. Dès 1925, il s’employait à saboter les luttes des
ouvriers et paysans chinois. Dans les années 30, des révolutionnaires tombaient
en Espagne sous les coups de boutoirs des staliniens. En 1936, en France, 6
millions de travailleurs cessaient leur mouvement de grève suite au tristement
célèbre « il faut savoir terminer une grève » du stalinien Maurice Thorez. En 1956,
Il
est également instructif de se pencher sur les pratiques que les bourgeoisies
occidentales justifi(ai)ent par la lutte contre ce qu’elles appellent le
« communisme » [9]. Car, au nom de cette lutte, ces bourgeoisies vont
très loin dans l’abjection : en quittant le Vietnam, l’impérialisme yankee
a laissé derrière lui un pays exsangue, et plus d’un million de cadavres ainsi
que 879 000 orphelins, 181 000 handicapés et environ 200 000 prostituées Au
sud, 60% des villages avaient été détruits, ainsi que 10 millions d’hectares de
terres cultivables, 4,8 millions d’hectares de forêts et 1,5 million de têtes
de bétail. Au nord, les six principales
villes industrielles ont été durement atteintes, ainsi que les capitales de
provinces, de districts et plus des deux tiers des communes agricoles. Les
medias bourgeois parlent souvent de « défaite » américaine au
Vietnam. Toutefois, si l’on s’en tient aux objectifs réels de l’agression yankee, force est de constater qu’ils
sont partiellement atteints. En effet, les Etats-Unis n’ont pas réussi à
imposer au Vietnam un polichinelle disposé à appliquer sans broncher la
politique qui lui serait dictée (ce qui constitue un échec) mais ils ont en
revanche rendu impossible tout développement indépendant, réussi et durable du
Vietnam (ce qui était un des objectifs du Capital yankee obsédé par la
« théorie des dominos »).
Si
les USA s’étaient vraiment souciés de l’avenir des libertés vietnamiennes comme
le prétendait leur propagande, ils n’auraient en aucun cas mené la politique
qui fut la leur vis-à-vis du Vietnam. En effet, l’agression yankee contre le
Vietnam a eu pour résultat indubitable d’accentuer les traits autoritaires du
régime du Nord-Vietnam. De même, sans les bombardements américains qui ont
ravagé le Cambodge de 1969 à avril 1975 et tué des centaines de milliers de
civils, Pol Pot n’aurait sans doute jamais pu enrôler des milliers de Khmers
rouges disposés à le porter au pouvoir et à appliquer sa politique barbare. Quant à l’embargo
américain sur Cuba -dont les implacables et destructrices conséquences se font
encore plus lourdement sentir depuis la disparition du « parrain »
soviétique-, il a surtout permis à Castro de mobiliser et d’utiliser à
son profit l’hostilité légitime de sa
population à l’encontre de la politique de l’Oncle Sam.
S’il
y a un reproche qu’on ne peut pas faire aux anticommunistes, c’est celui d’être
sectaires. L’anticommunisme est une grande famille où tout le monde est bienvenu. L’acteur puis Président américain
Ronald Reagan est un membre éminent de la famille (lui qui déclarait en 1985
que les soldats allemands étaient « des victimes des nazis de la
même façon que les victimes des camps de concentration »). On y trouve aussi le criminel de guerre répondant
au nom de d’Aubuisson (un fasciste que Reagan aimait beaucoup ;
s’adressant à un reporter allemand au début des années 80, d’Aubuisson déclara:
«Vous autres Allemands, vous êtes très intelligents : vous avez
compris que les Juifs étaient responsables de la propagation du communisme et
vous avez commencé à les exterminer»). En
France aussi, avec les Madelin, Goasguen, Novelli et autres Longuet, il nous
est donné l’occasion de rire en écoutant d’anciens adorateurs de Pétain,
Mussolini ou Hitler nous dire tout le mal qu’ils pensent des communistes.
Mais, une des composantes les plus hautement haïssables de la grande famille
anticommuniste, c’est sans doute la clique de tous ces purulents imbéciles qui
se croyaient communistes lorsqu’ils
encensaient Mao, Staline, Castro, etcaetera, et qui, souhaitant désormais faire
bonne figure, reprochent aux révolutionnaires d’aujourd’hui des crimes qu’eux
et eux seuls ont soutenus hier.
Des
charlatans s’escriment à nous persuader que la seule alternative au capitalisme
est Pyongyang. Mais cela ne prend
pas : nous n’avons aucunement à choisir entre les Big Brothers
totalitaires et l’American Way of Life, car le bloc de l’Ouest n’a triomphé de
celui de l’Est que pour mieux s’inspirer de ses méthodes. Ainsi, la bourgeoisie
française semble avoir d’ores et déjà fait de Sarkozy son favori pour 2007. Lorsque
cet anticommuniste, s’exprimant en novlangue, déclare vouloir gouverner d’une autre façon, il y a tout lieu de penser que ce qu’il reste
encore de démocratie, le Capital l’anéantira pour perdurer.
[1] La
pénurie de théoriciens va de pair : pour justifier le capitalisme, Jacques
Attali fait désormais référence à… Marx. Dans son essai Modernité Modernité, Henri Meschonnic évoque « le dogmatisme de la pensée libérale qui feint
la souplesse par l’éclectisme de ses emprunts.» Dont acte.
[2]
Notons-le d’emblée : rejeter l’URSS
et sa dictature sur le prolétariat ne doit pas signifier rejeter totalement les œuvres et actions de
Lénine, Trotsky et autres bolcheviks « fidèles » - agir ainsi serait
faire preuve une nouvelle fois de ce sectarisme qui divise les révolutionnaires
depuis longtemps. Il n’y a pas lieu ici de nous lancer dans un inventaire
exhaustif de ce qu’il y a eu de positif dans Lénine, Trotsky, etcaetera. Nous
nous bornerons donc, sur les questions qui nous intéressent présentement, à
renvoyer à deux ouvrages de Trotsky : La
révolution permanente (lire notamment, dans les appendices, les textes
relatifs au sabotage de la révolution chinoise par les staliniens) et La
révolution trahie (ouvrage de description et de critique du régime
stalinien abordant, entre autres, la question complexe de la nature de
l’URSS).
[3]
Anton Pannekoek, Les Conseils Ouvriers.
[4]
Ainsi, des millions de Chinois crèvent dans des camps de concentration, le
Tibet est toujours occupé, les manifestations d’ouvriers sont impitoyablement
réprimées et, sous couvert de lutte contre l’islamisme –ce même islamisme que la
dictature chinoise soutenait lorsqu’il s’agissait de mettre l’URSS en
difficulté- les Ouïghours sont persécutés. Pour se faire une idée des exactions
commises par le dictatorial Parti Communiste chinois, on pourra se reporter aux
documents réunis et présentés par Reporters sans frontières sous le titre Chine,
le livre noir.
[5]
Lorsque l’on sait que les bourgeoisies occidentales ont soutenu le « petit
père des peuples », on comprend qu’il leur a fallu une bonne dose de
duplicité pour prendre un air horrifié en découvrant les similitudes entre Pol
Pot et Staline.
[6]
Pour de plus amples informations sur la politique indochinoise des USA et sa
couverture médiatique, lire Noam Chomsky, Edward S. Herman, La fabrique de
l’opinion publique, La politique économique des médias américains.
[7]
Pour toutes ces informations, lire Noam Chomsky, Dominer le monde ou sauver
la planète ? L’Amérique en quête d’hégémonie mondiale.
[8]
On se souvient des relations qu’avait Fidel Castro avec Jean-Paul II
(anticommuniste patenté) qu’il considérait, ne riez pas, comme un homme de
paix. Trois jours de deuil national furent même décrétés à Cuba lorsque
Jean-Paul II est mort.
[9]
Dans l’ouvrage mentionné préalablement, Pannekoek pronostiquait que « si
le capitalisme parvenait à établir un ‘monde unifié’ il éprouverait
certainement la nécessité de le repartager en deux moitiés antagonistes, pour
éviter l’unité des travailleurs ». La prédiction était exacte :
depuis que l’URSS s’est effondré comme un château de cartes, « Al-Qaeda »
et le « terrorisme » tendent à jouer le rôle autrefois dévolu à
« l’Empire du Mal » et au « communisme ».